Interview: La passion d’un ouvreur d’escalade en bloc

De tous les accessoires d’escalade que nous avons envisagés de développer, la ceinture d’ouvreur de bloc en salle n’était clairement pas dans nos priorités ! Mais c’était sans compter sur le personnel de notre salle d’escalade locale, The Roof Euskal Herria. Un jour, au détour d’une conversation, après avoir réparé une ceinture à outils dont on avait clairement abusé (;-) ), on me lance : « ce serait trop cool si tu pouvais faire des ceintures d’ouvreurs ! ». Quelques discussions et un prototype plus tard, notre ceinture était prête ! Légère mais costaud, simple et modulable afin de pouvoir remplacer chaque partie, en ajouter selon les goûts et les travaux d’ouverture à réaliser, notre ceinture était prête !

Lors de notre photoshoot pour la sortie des ceintures, on s’est dit que ce serait sympa aussi de vous partager la vision d’un ouvreur d’escalade de bloc sur son métier, celui sur qui notre bonheur repose à chaque passage en salle…

ce métier me fait vibrer, me pousse perpétuellement dans mes retranchements, me challenge, me ravit…

Simon Caussé , the roof Euskal herria

Loin du modèle des grandes chaînes de salle d’escalade, notre salle locale et communautaire, The Roof Euskal Herria, bénéficie d’ouvreurs passionnés. Nous avons posé des questions à Simon Caussé, l’homme aux casquettes multiples, tantôt propriétaire de salle, plongeur en cuisine, responsable communication, et surtout ouvreur en chef, Simon nous raconte son apprentissage, son rapport à l’ouverture, ses envies et les difficultés d’ouvrir pour le plus grand nombre !

Simon et son métier d’ouvreur d’escalade

Symbioz Climbing: Quel est ton processus quand tu ouvres ?

Simon: Un set de prises, une idée de mouv’, une arrête, un secteur, un concept (minimalisme ou au contraire profusion de matos à visser par exemple)…la boite à inspiration est illimitée. C’est d’ailleurs une des principales difficultés de l’ouverture quand tu débutes : il y a tellement de possibilités que tu te perds à « toutes les envisager » et te noies dans un vortex de « …et pour quoi pas ça ?…mais en même temps ça aussi c’est bien…et puis c’est vrai qu’il y a ceci aussi… ». Entre-autres qualités, un.e ouvreur.se à maturité sait parfaitement canaliser ce flux : cela ne veut pas dire qu’elle ou il tranche plus efficacement entre plusieurs possibilités mais son instinct créatif le.a dirige naturellement vers celle qui convient le mieux (selon lui/elle…cela ne l’empêchant pas, non plus, de se tromper de temps en temps ;-)).

Gamin, je rêvais d’un avenir pro dans le monde de la créa. La vie en a décidé autrement dans un premier temps. Aujourd’hui, pouvoir combiner ma passion indéfectible pour l’escalade avec cette veine de création, c’est un aboutissement qui me nourrit : ce métier me fait vibrer, me pousse perpétuellement dans mes retranchements, me challenge, me ravit… « Sim, ton bloc bleu…pépite ! » et je suis a comble du bonheur pour des jours, j’ai rempli ma mission.

Symbioz: A quoi penses-tu principalement quand tu ouvres ?

Simon: En fait la bonne question c’est à qui penses-tu quand tu ouvres ? Et bien à toi, à Vince, à Yo, à Isa, à Gâchette, à Raphaël…à vous toutes et tous !

En ouverture commerciale (j’entends par là l’ouverture à destination des grimpeurs de salles privées, par opposition à l’ouverture en compet) tu as le devoir de penser aux grimpeurs et aux grimpeuses de ta communauté tout au long du processus. Ça paraît complètement trivial dit comme ça et pourtant, en ouverture, il est tellement facile de tomber dans le piège « je me fais plaisirs avec un truc pour moi ». Penser aux grimpeur.euse.s pour les satisfaire, oui, mais sans démagogie : les surprendre, les challenger, les sortir de leur zones de confort dans une approche toujours didactique et pédagogique, et en ne perdant jamais de vue toutes les spécificités et la « personnalité » de la communauté grimpante pour laquelle tu visses. Cela sous-entend de connaître parfaitement « tes grimpeurs.euses », une autre qualité absolument indispensable aux ouvreurs de salles.

En compétition, tu te dois aussi de connaître les grimpeurs mais dans l’objectif de générer un classement et du spectacle (et du plaisir évidemment !)…le process est un peu différent.

L’absolu de l’ouvreur c’est le bloc ou la voie parfaitement consensuel.le : c’est rare, mais quand un bloc ou une voie (surtout si son caractère est très prononcé) conduit à une émotion unanimement positive, éprouvé par celles et ceux qui le grimpe, tu sais que tu as atteint quelque chose de précieux, d’inestimable pour un ouvreur.euse…mais c’est pas tout les jours que ça arrive ! (rire).

Symbioz: Sachant qu’avant d’être ouvreur et gérant de salle tu étais grimpeur, qu’est ce que l’ouverture à apporter à ta grimpe ?

Simon: T’as vu, t’en parles au passé ! (Rires )

Symbioz: (rires) Oui…Allez, on se fait une sortie en extérieur bientôt ?!

Simon: Très intéressant comme question : naturellement on se la pose toujours dans le sens inverse à savoir qu’est ce que ton expérience de grimpeur apporte à ton ouverture. Je ne me l’étais jamais posée dans ce sens jusqu’ici.

Le fait est qu’avec ces deux casquettes, le temps disponible alloué à ma pratique loisir a drastiquement diminué : je grimpe, en volume, bien moins qu’avant. Malgré tout si je compare mon (très modeste) niveau de grimpe actuel à celui d’avant (plus modeste encore), j’ai indéniablement progressé. En terme de difficulté (cotations) envisageable certes, mais surtout en terme de « tactique sensitive » : là où je plaçais tout sur le physique avant (et alors que ce n’était clairement pas une de mes qualités premières), l’ouverture m’a fait réalisé à quel point l’instinct de la gestuelle juste et précise est une arme pour faire la croix. L’expérience de grimpe développe cet instinct, l’ouverture te permet de le comprendre et de le maîtriser.

Symbioz: Qu’est-ce que tu ressens quand les gens grimpent dans tes blocs ?

Simon: C’est la récompense : voir la communauté grimper dans tes ouvertures, c’est toujours un moment spécial ! J’aime bien me faire la petite souris silencieuse dans un premier temps, observateur neutre, puis dans les jours qui suivent c’est un de mes péchés mignon que de prendre un peu de temps avec les grimpeurs.euses pour dégrossir de manière didactique les ouvertures proposées, notamment dans les niveaux faciles à intermédiaires. C’est un moment d’échange précieux qui contribue à la mise en réussite et donc au bonheur des grimpeurs.

je n’arrive pas encore à me dégager de cette frustration d’inaccomplissement et de ratage… à accepter que c’est le jeu et que la perfection, quand bien même tu la vises, est inatteignable…

SImon caussé, the roof euskal herria

Il y a aussi la face obscure de ce moment clé lors duquel tu t’exposes à un point de bascule :

Tu viens de ramasser les dernières vis à bois sur le tapis et tu enlèves la chaine qui sécurise ton secteur, plutôt satisfait de ton taf: c’est le nouveau secteur, les grimpeurs, la bave aux lèvres se ruent sur les blocs neuf… secteur « Black Friday »…(enfin, pour être tout à fait exact c’est black Monday et black Friday ici ;-)). Au fur et à mesure des essais – et alors que tu penses en avoir fait le tour – c’est là que tous les micro-réglages (ou même parfois les gros réglages…(rires)) auxquels l’équipe d’ouverture n’a pas pensés se révèlent. Je sais que c’est un de mes défauts principal en tant qu’ouvreur (parmi tant d’autres !rire), mais je suis encore très affecté lorsque c’est le cas…je n’arrive pas encore à me dégager de cette frustration d’inaccomplissement et de ratage… à accepter que c’est le jeu et que la perfection, quand bien même tu la vises, est inatteignable…et bien souvent d’ailleurs, tout ce que tu réussis à atteindre en ouverture c’est le strict opposé ! (rire)

Symbioz: C’est aussi ce que l’on apprécie dans votre salle ! Le fait de pouvoir discuter avec l’équipe d’ouverture et de « demander » des ajustements. C’est un partage et je pense que ce n’est pas forcément le cas dans toutes les salles…

Simon: Ensuite il y a l’émotion des grimpeurs, positive comme négative. La positive je ne vais pas m’étaler dessus, c’est l’or et les diamants de l’ouvreur. La négative, j’ai deux façon de la traiter : étant plutôt du genre critique vis à vis de mon travail, lorsque le retour négatif me semble légitime (souvent parce que je suis du même avis que le grimpeur avant même qu’il ou elle m’en parle) j’essaye d’analyser avec elle ou lui le « pourquoi du comment » de la bouse que je viens de visser. C’est de la rétro-analyse bienveillante et constructive et ça nourrit la progression d’un ouvreur. Il peut arriver aussi que l’on se fasse sévèrement recadrer par les grimpeurs, mais c’est de bonne guère et absolument indispensable.

En revanche, il y a deux cas qui me font plus grincer des dents, et me font camper sur mes positions :

  • Nombreux.euses sont les néo-pratiquant.e.s (et pas que…les jeunes compétiteurs et leurs parents tombent souvent dans ce travers également) qui abordent la problématique « ça me plait/ça me plait pas » au travers du prisme unique « réussite/échec », et font complètement fi des qualités (ou des défauts) intrinsèques du bloc, de la voie, du plaisir ou du déplaisir de la grimpe, de la diversité de styles dont fait preuve l’escalade indoor aujourd’hui. Pour faire un peu de provoc, si tu visses une bouse absolue mais que le taux de réussite est grand, les retours seront principalement positifs. Bien sûr la mise en échec/réussite des grimpeurs est un paramètre crucial à prendre en compte pour un ouvreur, mais ça peut être frustrant de constater que nombreux sont les grimpeurs qui se servent uniquement de ce critère pour évaluer la qualité de la grimpe. Toutefois, je ne peux pas leur en vouloir car il suffit que je me souvienne de mes premières années de pratique pour réaliser que j’étais exactement pareil. Gros travail de pédagogie sur ce point…

Symbioz: Étant avide de bloc typé extérieur à réglettes, c’est dans ce type de bloc que j’ai mes plus grandes réussites…donc forcément quand tu me vends du module où je me casse les dents…je suis la première à râler, sans objectivité !! (rire). En prenant du recul, en laissant mon égo de grimpeuse de côté, et en acceptant de me prendre des buts dans un type de grimpe qui n’était pas forcément le mien, j’avoue que j’ai énormément progressé en extérieur grâce aux challenges rencontrés en salle. Un exemple concret étant mon manque de dynamisme et de coordination que j’ai travaillé en partie grâce à tes ouvertures, et qui s’est prouvé être un gros atout lors de mon dernier trip à Fontainebleau lors du Women’s bouldering festival !

Simon:

  • Enfin, parmi les néo-grimpeurs nombreu.se.s sont ceux qui, par manque de culture grimpe, ont encore des difficultés à bien cerner la différence entre la la nature de l’escalade de bloc d’une part et celle de la voie d’autre part. Cette incompréhension conduit inévitablement à une appréciation biaisée de la qualité ou des défauts des ouvertures de type bloc. Ce sujet casse-gueule m’a déjà valu quelques conversations musclées…mais qui ce sont tjrs terminées en partageant une bière ! rires. C’est encore compliqué de faire comprendre que la nature de l’escalade de bloc réside dans le fait de résoudre une énigme verticale, un casse tête gestuel (nos amis Grands Bretons parlent bien de « boulder problem » !) basé sur les 3 fameuses composantes de difficulté : Intensité, Risque, Complexité. Alors, oui, dans une salle de bloc on visse…de l’escalade de bloc ! N’en déplaise à celles et ceux qui préfèrent la voie qui « déroule sans prise de tête » dixit une grimpeuse de la salle (et je n’ai rien contre « la voie qui déroule » c’est juste que…et bin ce n’est pas du bloc !). Du coup, les gérants et les ouvreurs dans les salles de blocs ont une grosse responsabilité en terme de pédagogie et de communication auprès de tou.te.s pour s’assurer que la discipline soit bien comprise.

Symbioz : Je comprends ton point de vue ! Le débat sera toujours entre les pratiquants des deux disciplines sera toujours d’actualités dans 10 ans si tu veux mon avis… (rires) et puis la pratique du bloc en salle a changé, c’est maintenant une discipline à part entière alors qu’avant les salles étaient là juste pour s’entraîner les jours de pluie.

Merci d’avoir répondu à ces questions Simon ! Ce que je retiens, c’est ta passion et ton implication physique et émotionnelle à ouvrir des blocs ! Ne la perds pas !

Toi qui vient de lire cet interview en entier, si tu es ouvreur.se, que tu as envie de partager ton expérience, laisse un commentaire, et raconte-nous ton histoire !

En bonus, on a 2 petites vidéos pour vous, sur l’ouverture de bloc à The Roof Euskal Herria, dont l’une tournée avec l’équipe d’ouvreurs d’ ST Climbing.

Elles ont été filmées et montées par le talentueux Jon Vital.

https://www.youtube.com/watch?v=hXFUaCoTfPc&list=PLb_oqMthBB9xMxLxq8ZXkZ2_nK-kSZ4TG&index=1
https://youtu.be/htaq6mQk8rM

Article rédigé par Hélène

Fondatrice de Symbioz Climbing. Biologiste de formation, j'ai arrêté la science au bout de 10 ans pour me consacrer à la couture et au bloc.

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1 Commentaire
  1. Petit
    8 novembre 2020 à 19 h 39 min

    Génial ! Super intéressant d’avoir la vision de l’autre côté du métier ! Merci pour cet article 🙂

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